Loi de finances de 2025 : ce qu’il faut savoir
Pour la CGT, cette instabilité ne relève pas du hasard
Elle est le symptôme d’un conflit de plus en plus ouvert entre les politiques néolibérales imposées depuis des années et les aspirations populaires, exprimées tant dans les urnes que dans la rue. Après le rejet massif de la réforme des retraites, le gouvernement persiste dans sa fuite en avant.
Publiée au Journal officiel, la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 entérine un virage austéritaire sans précédent. Plutôt que de répondre aux besoins de la population, le gouvernement choisit de privilégier la satisfaction des marchés financiers et de la Commission européenne, au prix d’une nouvelle attaque contre les services publics, la protection sociale et le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes.
Cette logique se traduit directement dans le cadrage du budget 2025, qui s’inscrit dans une politique de réduction accrue du déficit public.
Les grands axes du budget 2025
- L’État prévoit un déficit de 139 milliards d’euros, soit 8 milliards de moins qu’en 2024.
- Le déficit public global (État + collectivités + Sécurité sociale) est ramené à 5,4 % du PIB (au lieu de 6 % en 2024), soit au-dessus de l’objectif de 4,9 % initialement visé dans la trajectoire de finances publiques.
- L’État prévoit de dépenser moins qu’en 2024. Le budget 2025 de la France prévoit un effort significatif pour réduire le déficit public, combinant une baisse des dépenses de 32 milliards d’euros et une hausse des recettes de 21 milliards d’euros d’impôts.
Cependant, les prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose ce budget soulèvent de sérieuses questions quant à leur sincérité.
Le gouvernement Bayrou a certes révisé sa prévision de croissance à 0,9 % (contre 1,1 % initialement), mais celle-ci reste artificiellement optimiste. Le consensus des économistes l’évalue plus raisonnablement à 0,7 %.
Si la BCE (Banque centrale européenne), la Banque de France et l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) rejoignent la projection gouvernementale à 0,9 %, le FMI, généralement plus prudent, table sur 0,8 %.
Cette surestimation pourrait ainsi justifier un projet de loi rectificatif cet été ou à l’automne en 2025 en cas de dérapage économique ou budgétaire. Ce qui risque d’amplifier l’austérité, si la majorité gouvernementale reste en place.
Une politique de l’emploi incohérente face à un chômage croissant
Alors que le chômage repart à la hausse (+ 100 000 demandeur·ses d’emploi en un an, atteignant 6,26 millions de personnes fin 2024), le gouvernement choisit pourtant de saborder les politiques d’insertion et de soutien à l’emploi :
- Coupes brutales dans le budget Travail et Emploi : – 4 milliards d’euros (– 16,8 %).
- Disparition des emplois francs, qui permettaient d’aider l’embauche dans les quartiers prioritaires.
- Réduction des aides aux employeurs pour l’apprentissage, compliquant l’accès à l’emploi des jeunes et sans réorientation du dispositif.
- Baisse de 42 % des crédits pour les contrats aidés, fragilisant les plus éloigné·es de l’emploi.
- Moins de financements pour les missions locales, quand la précarité des jeunes explose.
- Coupes dans les dispositifs d’insertion par l’activité économique (IAE), sauf pour les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ).
- Pas d’augmentation des moyens pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, alors même que leur nombre explose.
- Réduction des fonds pour la formation professionnelle, touchant notamment France compétences et l’Afpa.
- Le gouvernement persiste pourtant à parler de « trajectoire vers le plein-emploi », un discours totalement déconnecté de la réalité sociale.
Fonction publique : austérité et précarisation des agent·es
- Maintien du jour de carence pour les fonctionnaires, alors qu’il a été supprimé pour une partie du privé.
- Réduction de 10 % de l’indemnisation des arrêts maladie, soit près d’un milliard d’euros de coupes.
- Gel du point d’indice en 2025, aggravant la perte de pouvoir d’achat des agent·es.
- Dévalorisation des grilles indiciaires, poussant les fonctionnaires vers une « smicardisation » croissante.
- Suppression de 100 000 postes dans la fonction publique territoriale, étranglant encore plus les collectivités locales.
- Suppression définitive de la prime Gipa (garantie individuelle du pouvoir d’achat), qui compensait la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation.
- Baisse des crédits pour l’Éducation nationale, même si les suppressions d’emplois initialement prévues ont été suspendues.
Des mesures fiscales insuffisantes pour réduire les inégalités
- Indexation du barème de l’impôt sur le revenu : une mesure technique pour éviter une hausse mécanique, mais qui n’améliore en rien le pouvoir d’achat.
- Taxation minimale de 20 % sur les très hauts revenus (revenu fiscal annuel dépassant 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple), mais limitée à une seule année, un coup de com’ plutôt qu’une réforme durable. Il devrait rapporter 2 milliards d’euros à l’État.
- Taxe temporaire sur les grandes entreprises, une mesure très limitée qui ne remet pas en cause l’évasion fiscale. Elle ciblera les quelque 400 entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard d’euros et sont redevables de l’impôt sur les sociétés. Cette surtaxe devrait rapporter 8 milliards d’euros au budget.
- Taxe exceptionnelle sur les grandes entreprises de fret maritime, en pratique l’armateur CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement — Compagnie générale maritime), pendant un an (500 millions d’euros attendus).
- Hausse de la taxe sur les transactions financières (TTF) qui passe de 0,3 % à 0,4 %. Cette hausse devrait ramener 500 millions d’euros supplémentaires à l’État.
- Suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un nouveau cadeau fiscal au patronat qui fragilise les finances des collectivités locales.
Une politique énergétique et écologique incohérente
- Baisse du budget de l’écologie : – 14 %, soit 3 milliards d’euros en moins.
- Coupes dans MaPrimeRénov’, passant de 4 milliards en 2024 à 2,3 milliards en 2025.
- Diminution du Fonds vert, destiné à financer la transition écologique des collectivités locales.
- Suppression des taux réduits de TVA pour les chaudières à gaz.
- Hausse de la TVA sur l’électricité et le gaz à 20 %, frappant les ménages modestes.
Un effort exigé des collectivités locales
- 2,2 milliards d’euros de coupes budgétaires qui vont dégrader les services publics locaux.
- Moins de moyens pour la transition écologique des territoires, malgré le discours officiel du gouvernement.
Un transport toujours plus cher pour les travailleur·ses
- Renforcement du malus écologique sur les véhicules polluants, sans alternative crédible pour les ménages ruraux et périurbains.
- Hausse de la taxe sur les billets d’avion, une mesure environnementale, mais qui n’est pas accompagnée d’un plan de développement du ferroviaire.
Un logement toujours inaccessible pour les classes populaires
- Extension du prêt à taux zéro (PTZ) jusqu’en 2027, une aide utile mais insuffisante face à la crise du logement social.
- Hausse de la fiscalité sur les locations meublées, une avancée pour lutter contre la spéculation, mais qui ne compense pas le manque de régulation des loyers.
Baisse de 33 % de l’aide publique au développement
- Mise en péril des programmes comme le Fonds mondial contre le sida, dans un contexte où les États-Unis clôturent leurs programmes d’aides, avec des conséquences dramatiques pour les populations.
Mission | LFI 2024 (milliards d’euros) | LFI 2025 (milliards d’euros) | Évolution (%) |
Action extérieure de l’État | 3,49 | 3,73 | + 6,9 % |
Agriculture | 4,10 | 3,87 | – 5,6 % |
Aide publique au développement | 5,48 | 4,97 | – 9,3 % |
Cohésion des territoires | 23,54 | 25,15 | + 6,8 % |
Écologie et mobilités durables | 24 | 21 | – 12,5 % |
Économie | 4,05 | 3,68 | – 9,1 % |
Enseignement scolaire | 61,34 | 64,38 | + 5,0 % |
Travail et emploi | 23,70 | 19,73 | – 16,8 % |
Quelles suites ?
- Les collectivités votent leur propre budget entre février et avril 2025, intégrant ces nouvelles contraintes.
- Si la trajectoire budgétaire dévie, un projet de loi de finances rectificative (PLFR) peut être adopté pour ajuster les prévisions de recettes et de dépenses au cours de l’année ou intégrer les annonces du président de la République sur l’armement. Généralement, ceux-ci ont lieu à l’été 2025, ou en fin d’année.
Le comportement du RN dans les hémicycles
Une posture « sociale » tactique
Sur certaines mesures fiscales, le RN a effectivement voté avec les groupes de gauche du Nouveau Front populaire (NFP), notamment concernant :
- la fiscalité renforcée des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ;
- le renforcement de la taxe sur les transactions financières ;
- une contribution spécifique sur les hauts revenus.
Comme le souligne un article de Basta! sur la question, ces votes s’inscrivent dans une stratégie visant à « phagocyter des thématiques d’habitude portées par la gauche » et à se positionner en « contrepoint du gouvernement ». Le député RN Alexis Jolly a clairement exprimé cette intention en déclarant que « la gauche a trahi la cause populaire. […] La place que vous occupez, nous la prendrons. »
Défense des intérêts des plus fortuné·es
Malgré cette posture sociale affichée, le RN a systématiquement défendu les intérêts des plus aisé·es sur des questions fiscales fondamentales :
- Opposition à la hausse de la CSG sur les revenus du capital ;
- Rejet de la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises ;
- Opposition à la fiscalité des hauts patrimoines de plus d’un million d’euros ;
- Refus de diminuer les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires ;
- Opposition ferme au rétablissement d’un impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Sur ce dernier point, le RN a non seulement voté contre son rétablissement, mais a également proposé d’alléger encore davantage l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI) en modifiant ses seuils, ce qui aurait réduit encore l’impôt retenu aux contribuables les plus aisé·es.
Cibles des coupes budgétaires proposées
Les propositions budgétaires du RN, révélées notamment à travers son contre-projet et ses amendements en commission des finances, ciblaient particulièrement :
- une réduction de 4 milliards d’euros pour la culture et les associations ;
- des coupes dans l’enseignement supérieur, particulièrement les sciences humaines ;
- des réductions d’effectifs dans les services liés à l’écologie ;
- la suppression de l’aide médicale d’État (AME) ;
- l’exclusion des étranger·es de certaines prestations comme la prime d’activité.
Les propositions de la CGT sur le budget
- Un investissement massif dans nos services publics et nos infrastructures pour préparer l’avenir et réussir les transitions et la transformation de nos modes de productions imposées par l’urgence climatique. Nos écoles, nos universités, nos organismes de recherche, nos infrastructures ont besoin d’investissements massifs !
- La mise en place d’une politique du logement en faveur des classes populaires en imposant la centralisation intégrale de l’épargne populaire à la Caisse des dépôts et consignations et sa mobilisation exclusive pour des financements d’intérêt général – notamment en faveur du logement social.
- Une vraie politique de revalorisation de la fonction publique : notre fonction publique souffre aujourd’hui d’un profond déficit d’attractivité avec de plus en plus de postes non pourvus et des agent·es qui, malgré leur attachement à leurs missions, quittent la fonction publique pour aller exercer dans le privé. Il est urgent d’inverser la tendance en commençant par la revalorisation des salaires des fonctionnaires – qui ont baissé de plus de 18 % depuis 2010 – et le rétablissement de la garantie individuelle de pouvoir d’achat (coût : moins de 190 millions d’euros).
- L’augmentation de 4 points de cotisation à la CNRACL (Caisse nationale de retraite des agent·es des collectivités locales) doit être intégralement compensée par l’État.
- La mise en place d’une réforme fiscale qui permettrait plus de justice fiscale avec notamment :
- le rétablissement des impôts pour les entreprises (impôt sur les sociétés et CVAE), et la modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction du comportement des entreprises en matière sociale et environnementale ;
- une taxation dissuasive des dividendes et des rachats d’actions ;
- la création d’une taxe sur les transactions financières ;
- le rétablissement de l’impôt sur la fortune ;
- une meilleure progressivité de l’impôt sur le revenu ;
- la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité ;
- le renforcement et l’élargissement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour inciter à la transition écologique ;
- la construction du financement des collectivités locales autour d’un panier d’impôts afin de rendre des marges de manœuvre budgétaires à celles-ci.
- La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale (90 milliards annuels) par l’embauche d’agents des finances publiques.
- Le ciblage, l’évolution, le redéploiement et la conditionnalité des 203 milliards d’euros d’aides publiques annuelles aux entreprises : mise en place d’une commission nationale de suivi des aides publiques et d’un avis conforme pour les CSE (comité social et économique).
Pour aller plus loin : extrait de la Note éco n° 165
La charge de la dette devient-elle vraiment le premier poste de dépenses de l’État ?
Récapitulatif
- Puisque l’État fait « rouler sa dette », le seul coût de la dette publique pour lui, ce sont les intérêts qu’il paie. Mais pour mesurer le poids que représentent ces intérêts sur les finances des administrations publiques, il faut regarder la charge réelle et non la charge nominale de la dette.
- Compte tenu de l’épisode inflationniste récent, le taux d’intérêt réel sur la dette publique a eu tendance à diminuer fortement, voire à devenir négatif par période. De ce fait, le montant du déficit public et de la charge de la dette est (bien) moins important que celui annoncé dans les comptes nationaux. Par exemple, la charge réelle de la dette était de - 116 milliards d’euros en 2023, soit - 4,1 % du PIB, ce qui implique un excédent budgétaire de 0,3 % du PIB (contre un déficit public et une charge nominale de la dette annoncés respectivement à 5,5 % et 1,7 % du PIB).
- En revanche, la France dépense chaque année près de 200 milliards d’euros dans des aides sans conditions ni contreparties pour les entreprises, soit l’équivalent du quart du budget de l’État. Concrètement, c’est là que se trouve le principal poste de dépenses de l’État !
- Ce montant représente en effet deux fois et demie le budget de l’Éducation nationale, cinq fois celui de la Transition écologique, huit fois celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche ou encore onze fois celui de la Santé et des Solidarités.