La sécurité sociale : connaître son passé pour défendre son avenir

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Publié le 9 oct. 2020
La sécu... par la diversité de ses prestations, nous accompagne tout au long de notre vie. Pour autant, peu connaissent l’origine de cette institution, son histoire, ses fondements, son fonctionnement ... Il est d’autant plus important de rappeler cette histoire pour défendre et construire la sécurité sociale du XXIe siècle.
Aux origines de la sécurité sociale

De la misère aux premières tentatives de protections

Si l’idée d’une protection sociale des travailleurs et de leurs familles émerge après 1789, c’est le mouvement d’industrialisation du début du XIXème siècle qui a provoqué en France et en Europe une profonde mutation sociale. Jusqu’alors, sans travail, pas de revenus. La protection sociale reposait principalement sur les œuvres de l’Église.

Face à la charité aléatoire se substitue peu à peu, des dispositifs de solidarité organisés par les ouvriers eux-mêmes. Ainsi, les premières caisses de secours sont imposées par les grèves et les créations de mutuelles se multiplient. Inquiets de ce qui prend forme, les patrons des grandes entreprises, qui se heurtent aussi à la naissance du syndicalisme (CGT est créée en 1895), développent leurs propres œuvres sociales dans le cadre du « patronage » avec la perspective d’intégrer les travailleurs aux logiques et aux impératifs du capitalisme.

Mise en place d’une protection sociale assurantielle

C’est à la fin du XIXe siècle que les premiers textes législatifs sont votés sur la protection sociale telle celle sur les retraites des mineurs en 1894 ou celle des cheminots en 1909 ( régimes «pionniers») et la loi du 8 avril 1898 assurant la protection contre les accidents du travail des salariés de l’industrie. La loi de 1910 institue les premières retraites ouvrières et paysannes obligatoires fondé sur le principe de capitalisation. Il est combattu par la CGT qui la nomme «retraite des morts », car elle n’ouvre droit à une pension qu’à partir de 65 ans alors que l’espérance de vie moyenne était d’à peine 50 ans à l’époque. En 1928, une loi instaure le système d’assurances sociales (empêché d’application par les patrons jusqu’en 1930) qui organise une couverture pour la maladie, la maternité, l’invalidité, la vieillesse et le décès pour les salariés dont le salaire est inférieur à un plafond.

Dans le domaine de la famille, certains patrons, adeptes de la doctrine sociale de l’Église, seront à l’origine des allocations familiales. Dès 1880, quelques entreprises, ainsi que la fonction publique, versent des suppléments familiaux. Les lois de 1932 et 1938 généraliseront cette politique familiale pour influencer le taux de natalité. Quelques années plus tard, le gouvernement de Vichy les utilisera pour renvoyer les femmes au foyer.Au début des années 1940, un système de protection sociale est en place, mais celui-ci n’est ni obligatoire, ni général mais assurantiel. 

Un plan complet de sécurité sociale pour des “jours heureux”

En pleine Seconde Guerre mondiale, le conseil national de la résistance (CNR), organe fédérateur des mouvements de résistance, va rédiger un programme pour la France libérée incluant un « plan complet de Sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ». Quelques mois seulement après la libération, les ordonnances des 4 & 19 octobre 1945 concrétise le projet de sécurité sociale qui est «la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes». Elles aboutiront à la loi de « généralisation de la Sécurité sociale » adoptée le 22 mai 1946. Ces textes fondent le socle d’une protection sociale universelle, obligatoire et solidaire, puisque l’on cotise à hauteur de ses moyens pour en bénéficier à hauteur de ses besoins.

Une conquête ouvrière

 L’ordonnance de 4&19octobre 1945 concrétise le programme du CNR qui prévoyait la création d’ « un plan complet de sécurité sociale”. Celle du 19 octobre, en précise les objectifs à réaliser en matière d’organisation et de prestations. La Sécurité sociale était donc sur les rails, mais sa mise en œuvre ne fut pas aussi simple. Les ordonnances ne réglaient pas tout, il fallait les mettre en application.C’est le ministre du travail et de la Sécurité Sociale, Ambroise Croizat qui soutiendra avec beaucoup d’énergie sa mise en œuvre en mobilisant le corps militant de la CGT.

L’engagement de Croizat
A l’arrivée de Croizat au Ministère du travail, le 22 novembre 1945, il reste à faire voter une série de décrets et lois visant à la mise en application de la Sécurité sociale. Alors que des manœuvres sont déjà en cours pour retarder ou faire échouer le plan français de la sécurité sociale, Croizat va défendre avec acharnement et à marche forcée le projet pour concrétiser rapidement cette réalisation et créer les structures nécessaires sur le terrain.



« Tout a fonctionné à partir de juillet 1946. En dix mois à peine, nous avons pu, malgré les oppositions, construire cette énorme structure alors que les Anglais n’ont pu mettre en application le Plan Beveridge qui date de 1942 qu’en 1948 » se félicitait Pierre Laroque, directeur général de la Sécurité sociale.



 Un travail collectif

Outre l’énergie qu’il développa pour mettre en œuvre la sécurité sociale, par son parcours, sa personnalité, sa culture politique et syndicale, Croizat valorise le travail collectif. Il ne cessera de le rappeler.


« L’ordonnance du 4 octobre 1945, à laquelle est à juste titre attaché le nom d’un ami qui nous est commun à tous, Alexandre Parodi, a été le produit d’une année de travail, au cours de laquelle des fonctionnaires, des représentants de tous les groupements et de toutes les organisations intéressées, des membres de l’Assemblée consultative provisoire, dont certains font partie de la présente Assemblée, ont associé leurs efforts pour élaborer un texte que le gouvernement de l’époque a, en définitive, consacré conformément à l’avis exprimé par 194 voix contre 1 à l’Assemblée consultative. » A. Croizat.



Les petites mains de la sécu

Pour élargir le rapport de forces et conscient que le temps était compté, Croizat, qui ne resta qu’à peine un an et demi au Ministère, et George Buisson, secrétaire de la CGT à la Libération mobiliseront le corps militant de la CGT.



 « Rien ne pourra se faire sans vous (…) La Sécurité sociale n’est pas qu’une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains…» A. Croizat lors de la présentation de la loi du 12 mai 1946.



En quelques mois, 138 caisses primaires de Sécurité sociale et 113 caisses d’allocations familiales sont édifiées. Outre les locaux qu’il faut trouver, un travail minutieux de recensement des assurés et des employeurs est réalisé par les militants pour établir les caisses primaires. Rien n’aurait été possible sans l’engagement de centaine d’anonymes le soir, le week-end ou pendant leurs congés pour faire fonctionner cette réalisation.

Une conquête pour tous

Cette mise en place collective de la Sécurité sociale caractérise le système français de Sécurité Sociale et permet sa réussite. Très vite, l'insécurité sociale recule. Les prestations sociales qui, en 1938, représentaient 5 % du revenu des ménages, bondissent de 16 % dès 1950.



« Le plan de Sécurité sociale est une réforme d’une trop grande ampleur, d’une trop grande importance pour la population de notre pays pour que quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive. (…) Cette Sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et à toutes les Françaises sans considération politique, philosophique, religieuse. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national et cohérent de sécurité. »  A. Croizat



C’est probablement cette construction collective au travers de l’engagement de Croizat et de milliers de militants de la CGT qui fait que la Sécurité sociale fait partie aujourd’hui du patrimoine français et qui malgré de nombreuses attaques, reste une conquête sociale à laquelle les français restent très attachés.

La sécurité sociale : un objet de luttes

Depuis plus de 75 ans, le patronat et les gouvernements successifs s’attaquent méticuleusement au système de sécurité sociale au travers son mode de financement et de gestion. 

Ambroise Croizat avait prévenu, « ne parlez pas d’acquis mais de conquêtes sociales car le patronat ne désarme jamais ». Ainsi, dès 1946, alors que des millions de français découvrent les premiers effets de la mise en place de la sécurité sociale, le patronat, bien qu’affaibli et une partie de la droite sont à l’offensive. Ils s’opposent à la main mise d’une partie de la valeur produite par le travail et à sa gestion, confiée aux travailleurs eux-mêmes.

1967: première grande attaque contre le système de sécurité sociale

Si dès sa création, les dépenses sociales et la gestion “bureaucratique” sont ciblés, la première grande victoire patronale a lieu en août 1967 avec le démantèlement du régime général de la Sécurité sociale et la création de trois caisses distinctes (maladie, vieillesse, famille) bénéficiant de ressources propres. Avec cette réforme, l’organisation patronale dispose désormais de la moitié des sièges, les 50% restant sont partagés entre les organisations syndicales représentatives des salariés. Autre mesure importante, l’élection démocratique des administrateurs est supprimée pour laisser place à la désignation.

Assèchement des recettes et étatisation du financement

Ce premier recul est le point de départ d’une longue contre-offensive acharnée contre les droits à la Sécurité sociale, avec pour fil rouge la remise en question de son financement par la cotisation à travers les exonérations des cotisations massives et le financement par l’impôt. C’est dans ce sens, que le gouvernement de Michel Rocard a instauré un nouveau prélèvement : la Contribution sociale généralisée (CSG) en 1990. Créée pour diversifier les financements de la protection sociale, cet impôt est généralisé à presque tous les revenus (travail, patrimoine, épargne des retraites, chômage…). A partir de 2003, elle devient la deuxième source de recettes du régime général de l’Assurance maladie. Pour financer la suppression des cotisations salariales, maladie et chômage pour les salariés du secteur privé, la CSG a de nouveau été relevée en 2018 même si une partie des retraités en sera exonérée suite à un mouvement de contestation.

Tour de vis sur les prestations

Pour boucler le travail de sape, les gouvernements successifs vont s’attaquer aux prestations. Si déjà en 1958, le gouvernement instaure une franchise, la mise en place des lois de financements de la sécurité sociale, créée par la révision de la Constitution du 22 février 1996 sous le gouvernement d’Alain Juppé, permet d’enfoncer le clou chaque année. Alors qu’auparavant, l’arbitrage revenait aux partenaires sociaux, depuis cette loi, chaque année, ce sont les parlementaires, qui votent la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) et déterminent les conditions nécessaires à l’équilibre financier de la Sécurité sociale. Ils fixent les objectifs de dépenses en fonction des prévisions de recettes. Celles-ci s’inscrivent dans une logique d’adaptations des prestations aux financements et non aux besoins.

La sécurité sociale, toujours un rempart

En 2007, le numéro deux du syndicat patronal, Denis Kessler résumera, revanchard l’ambition patronale qui perdure depuis la création de la sécurité sociale :  « il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ». Mais malgré l’ambition d’en finir avec la sécu, force est de constater que celle-ci est le dernier rempart aujourd’hui contre le virus de la covid 19. C'est bien elle qui a "empêché l'effondrement de la France" de l’aveu même du premier Ministre, Jean Castex même si cela ne l’a pas empêché de faire voter un nouveau tour de vis aux dépenses de santé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et d’instaurer une taxe sur les urgences.

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