Lettre ouverte

Publié le 5 avr. 2024
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Aux parlementaires par les trois confédérations syndicales CFDT, CFE-CGC et CGT

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

La relance du programme nucléaire actée par le discours du président de la République à Belfort en février 2022 nécessite une gouvernance de la sûreté exigeante, indépendante et transparente. Le système de gouvernance de la sécurité nucléaire français, aujourd’hui constitué de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de sûreté nucléaire et de radioprotection (IRSN) est robuste, indépendant, permet l’information et l’implication de la société civile et est reconnu à l’international. 

Le projet de loi de fusion de l’IRSN avec l’ASN a été décidé par le conseil de politique nucléaire début février 2023, sur la base d’un rapport classé confidentiel auquel vous n’avez pu avoir accès. Il a été annoncé dans la foulée, de façon brutale, dans un communiqué de presse du Ministère de la transition énergétique. Après une première tentative cavalière de fusion de ces deux entités dans le projet de loi d’accélération du nucléaire, par deux amendements rejetés par les députés au printemps 2023, le gouvernement a préparé durant l’été et l’automne 2023 un projet de loi dédié sans démontrer les bénéfices du futur système envisagé par rapport au système actuel, ni la nécessité de le réformer en profondeur dans le cadre de la relance. 

Rassembler dans une future autorité les missions de contrôle et de réglementation avec les missions d’expert technique et de recherche n'est pas possible, même en tordant le bras à de nombreux principes du droit commun. De ce fait, des missions et activités de l’IRSN seraient éparpillées dans deux autres entités (CEA pour la dosimétrie passive et ministère des Armées via le CEA pour la sûreté relative à la défense ainsi que la sécurité des installations civiles). Ces séparations nécessiteront des conventions pour essayer de poursuivre tant bien que mal les missions en lien avec celles transférées à la nouvelle autorité.  Cette complexité a conduit fin 2023 à de nombreux avis réservés ou négatifs des instances et comités consultés (OPECST, CNTE, COCT, CSFPE, HCTISN, et CNESER). Les salariés des trois entités concernées par la fusion ont également affirmé leur opposition à ce projet de loi au travers de leurs instances représentatives du personnel.

L’article portant la création de la nouvelle autorité a été supprimé le 5 mars 2024 en commission de l’Assemblée nationale, mais réintroduit lors du passage dans l’hémicycle le 11 mars 2024.Le vote du projet de loi à l’Assemblée nationale le 19 mars a recueilli 260 votes pour et 259 votes contre mettant à nouveau en évidence une opinion des députés partagée, loin du clivage pro et anti-nucléaire dans lequel le gouvernement souhaitait enfermer le débat sur ce texte. En effet, le projet de loi actuel conduit à des régressions majeures dont certaines vont même à l’encontre des recommandations techniques de l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Ce choix s'accompagne également de risques majeurs qui entraîneront des conséquences néfastes sur le système d’évaluation et de gestion des risques radiologiques et nucléaires dont une désorganisation au plus mauvais moment du plan de relance du nucléaire voulu par le Président de la République. De plus, le risque de dégradation des conditions sociales dans une entité avec différents statuts de personnels va conduire à des différences de traitements et des pertes d’acquis sociaux qui créeront des tensions internes. Ce contexte social aura pour conséquences des ressources humaines focalisées sur les problèmes internes et détournées de l’objectif de la relance du nucléaire. Ces risques se traduisent déjà par des démissions en très forte hausse au sein de l’IRSN, notamment dans des secteurs où les compétences rares s’acquièrent sur des nombreuses années. L’ensemble de ces régressions et risques vont conduire à l’affaiblissement du système de gouvernance pour une durée indéterminée, mais probablement longue, alors même que la charge de travail de l’ASN et de l’IRSN est importante et que les travaux relatifs à la relance du nucléaire vont s’accentuer. 

La relance du nucléaire mérite d’être menée avec un système de gouvernance éprouvé qui doit être renforcé en moyens humains et financiers.  Rien à ce stade n’indique que les moyens de la future autorité seront augmentés par rapport à ceux cumulés de l’ASN et de l’IRSN. La mise en place de la nouvelle autorité va nécessiter des investissements de plusieurs dizaines de millions d’euros et un budget annuel plus élevé. Ces ressources devraient plutôt être dédiées au renforcement du système actuel qui n’a pas failli depuis sa création. Ne dispersons pas les moyens financiers de l’Etat pour un nouveau système dont les objectifs et l’efficience ne sont en rien démontrés ! La position raisonnable est de renforcer et éventuellement adapter le système actuel, sans remettre en cause les principes fondamentaux qui en ont fait sa force.

Ainsi, nous appelons solennellement les sénateurs et les députés à tenir compte des reculs et des risques majeurs mis en avant depuis plus d’un an et donc à prendre leurs responsabilités pour maintenir en France l’expertise en sûreté et en sécurité à son meilleur niveau et pour disposer d’un système de gouvernance des risques nucléaires robuste, indépendant et transparent.

Paris, le 04 Avril 2024,

Marylise LEON secrétaire générale de la CFDT, Sophie BINET secrétaire confédérale de la CGT et François HOMMERIL président Confédéral de la CFE-CGC