Morts au travail : pas de fatalité, il faut des actes
En 2023, 1 287 personnes sont décédées dans le cadre ou des suites de leur travail, soit 60 de plus qu’en 2022
Depuis 2010, le nombre d'accidents mortels au travail n'a cessé de croître pour passer de 537 à 790 en 2019. Selon les chiffres publiés par Eurostat en 2022, notre pays se traîne à l’avant-dernière place des pays européens pour l’insécurité au travail avec 3,53 morts, pour 100 000 travailleur.euses, tous secteurs confondus en 2022.
En 2023, 759 personnes ont perdu la vie à la suite d’un accident du travail (source : rapport annuel publié le 18 décembre 2024 par la Caisse nationale de l’Assurance-maladie)
Depuis 2020, ces chiffres ne cessent de grimper, révélant une situation catastrophique et une véritable crise de la sécurité au travail. Ces drames sont le résultat d’un choix politique : celui de sacrifier la santé et la sécurité des travailleur⋅ses sur l’autel de la rentabilité. La liberté d’entreprendre subordonne toute autre situation y compris la santé-sécurité au travail.
Des chiffres accablants :
- 57 % des décès (432 cas) sont liés à des malaises, reflétant une intensification des rythmes de travail ce qui interroge le lien qui peut être fait avec l’intensification des rythmes de travail et le stress au travail.
- Les accidents liés à des causes externes atteignent 193 décès en 2023 contre 176 en 2022, tandis que le risque routier reste meurtrier avec 92 décès (12 % du total).
- 33 suicides sur le lieu de travail témoignent d’un désespoir face à des conditions de travail insupportables.
Ces statistiques ne prennent pas en compte les accidents de trajet, les décès dus aux maladies professionnelles, les agent·es de la fonction publique et les auto-entrepreneur·euses mort·es en raison de leur travail. Le bilan est donc encore plus lourd, bien au-delà des 1200 morts.
Les jeunes travailleur⋅ses : premières victimes d’un système défaillant
Les jeunes de moins de 25 ans sont particulièrement exposé⋅es, avec 33 décès en 2023.
60 % des décès des jeunes travailleur·euses surviennent dans leur première année de poste, une situation directement liée à un manque de formation, d’accompagnement et de mesures de sécurité adaptées. Ces nouveaux entrants dans le monde du travail sont souvent affectés à des postes à risque sans formation, ni prévention.
Pour autant, le patronat persiste dans son refus de faire de la sécurité des travailleur⋅ses un sujet prioritaire. Les accidents mortels ne sont pas une fatalité, mais bien le résultat de politiques défaillantes, de contrôles insuffisants et d’un manque flagrant de moyens pour assurer la prévention des risques.
De nombreuses zones d’ombre continuent d’exister notamment en lien avec la sous-déclaration des accidents de travail et maladies professionnelles ou encore le manque de statistiques genrées.
Les lois et les normes en matière de sécurité sont trop souvent contournées et les moyens alloués à la prévention dans les entreprises sont largement insuffisants.
Pas de fatalité : la CGT exige des mesures fortes de la part du gouvernement
À l'occasion d'une table ronde organisée par la CGT le 23 janvier 2024 dans le cadre de la projection du film "Perdre sa vie à la gagner", Sophie Binet précisait qu'il ne fallait pas considérer les violences au travail comme un fait divers.
Pour la CGT il s'agit de violence patronale dans le but de faire un maximum de profits au détriment de la mise en place de mesures de prévention qu'ils estiment trop coûteuses.
Ces morts au travail ne sont pas là par hasard, c’est organisé par les patrons qui ne veulent pas payer pour permettre de bien travailler, pour avoir des mesures de préventions, limiter la sous-traitance et la précarité.
Si cette mortalité est révoltante, c’est parce qu’il n’y a pas de fatalité, on sait comment l’éviter.
Concernant la prévention, de l'aveu même du conseiller technique de l'ancienne première ministre Elisabeth Borne, "les entreprises ont des outils pour la prévention, mais peu les utilisent, seulement 40 % des entreprises ont des DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) alors que c’est obligatoire". (Source : entretien à Matignon du 23/05/2023 avec le "collectif familles : stop à la mort au travail"
Pour la CGT, il faut se battre contre l'idée reçue, selon laquelle il y a des métiers à risques. Aucune fatalité, il faut créer les conditions d’une meilleure sécurité au travail et pour cela il faut de la volonté politique.
Depuis plusieurs années, la CGT déplore la suppression par Emmanuel Macron des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui pouvaient intervenir directement sur les chaînes de production. Cette suppression a été une vraie catastrophe avec des conséquences lourdes, c'est pourquoi la CGT demande leur rétablissement.
Combattre l’impunité et l’irresponsabilité organisée
Un meilleur contrôle des entreprises par les Carsat (caisses d'assurance retraite et de la santé au travail) permettrait de lutter contre la sous-déclaration et d’agir sur les situations dangereuses.
Par ailleurs, la petite sinistralité cachée par les employeurs aboutit à une sinistralité tragique et à des morts au travail. Il serait aussi nécessaire d'organiser une traçabilité des expositions professionnelles tout au long de la carrière.
La sécurité sociale doit avoir les moyens, par sa branche ATMP (Accidents du Travail et Maladies Professionnelles) de mener une politique de prévention efficace. La médecine du travail doit y être intégrée pour obtenir un service public de santé au travail à la main des salariés. Aussi, la CGT alerte sur la médecine du travail qui n'est pas assez protégée des pressions du patronat et dont la formation des médecins en santé au travail n’est pas suffisante.
Les propositions de la CGT pour endiguer cette hécatombe
- Une politique pénale du travail sévère condamnant fermement les employeurs responsables d’accidents graves au travail.
- L’interdiction de plus d’un niveau de sous-traitance, la suppression du recours à la sous-traitance pour les activités à risques et le renforcement des responsabilités des donneurs d’ordre.
- La suppression des dérogations pour l’affectation des jeunes à des travaux dits « dangereux ».
- Le retour des CHSCT dans le secteur privé et la Fonction publique, outil de proximité et de prévention par excellence.
- Le doublement du nombre d’inspecteur⋅rices du travail, le renforcement des effectifs de contrôleur⋅ses des CARSAT.
- Une meilleure prévention des situations de travail pénible et le départ anticipé en retraite des salarié⋅es exposé⋅es
- Surveillance accrue de la réelle mise en œuvre des DUERP, seulement 50% des entreprises le mettent en place actuellement.
Chantiers JO 2024 : il est possible de réduire significativement les accidents de travail lorsque des moyens sont mobilisés et les inspections renforcées
Les chantiers des jeux olympiques de Paris 2024 se démarquent avec quatre fois moins d'accidents du travail par rapport à la moyenne nationale et aucun accident mortel.
C’est la démonstration qu’il est possible de réduire significativement les accidents de travail lorsque des moyens conséquents sont mobilisés, que les inspections sont renforcées, et que les entreprises sont tenues pleinement responsables.
Ces chiffres ne doivent pas rester de simples données statistiques.
Ce sont autant de vies perdues, de familles endeuillées, de collègues traumatisé⋅es. Derrière chaque mort, il y a une entreprise qui n’a pas rempli son devoir de protection, un État qui n’a pas imposé des règles de sécurité strictes, et un système qui tolère l’inacceptable.
Voir le film "Perdre sa vie à la gagner"
Face au déni généralisé, ce documentaire tente de retracer l'ensemble des causes qui ont pu conduire à des accidents trop nombreux, en moyenne 2500 par jour, dans lesquels certain·es perdent la vie.
Pour aller plus loin
Santé au travail : accéder à l'émission cash investigation du 25 janvier 2024 suivie d'un débat en présence de Sophie Binet
#CashInvestigation Maladies professionnelles non reconnues, salariés qui respirent sans le savoir des poussières cancérigènes, travailleurs handicapés sous pression. “Travail de malade, malade du travail” Un documentaire signé @FransuaC et présenté par @EliseLucet à 21h10 sur… pic.twitter.com/lHZ16j7iB9
— CASH INVESTIGATION (@cashinvestigati) January 25, 2024