La dette est-elle soutenable ?
Dette sur PIB, un ratio sacralisé, sans fondement
Le ratio dette/PIB est constamment mis en avant, d’autant plus qu’avec la crise du Covid il est passé de 98 % à environ 120 % (1), ce qui permet aux libéraux de continuer à nourrir les peurs à propos de cette dette. Pourtant, cet indicateur repris sans cesse dans les médias est discutable à plusieurs égards.
Nous avons vu dans la fiche 1 que la dette était un stock, au contraire du PIB (produit intérieur brut) qui est un flux. En effet, le PIB est la somme des valeurs ajoutées produites sur un territoire et pour une période donnés. De ce point de vue, il est donc discutable de comparer un stock à un flux. Cela revient à comparer les revenus d’un ménage à son endettement total : de toute évidence ce n’est pas comme cela que les banques étudient la capacité de remboursement d’un ménage, puisqu’elles comparent les revenus du ménage à la mensualité du prêt que le ménage devra assumer.
D’autre part, il faut bien comprendre que l’État est un agent économique très particulier. Tout d’abord, il n’a pas d’horizon temporel fini, il pourra donc toujours emprunter pour se refinancer. Deuxièmement, l’État est en capacité de décider, au moins en partie, du niveau de ses revenus, et donc de sa capacité de remboursement, via les règles fiscales qu’il met en place.
De plus, la pertinence du ratio dette/PIB est critiquable dans la mesure où il n’existe aucun seuil à partir duquel la dette deviendrait un danger pour la pérennité des finances publiques. Comme on l’a déjà vu, le Japon s’en sort bien avec une dette égale à 240 % du PIB alors que la Grèce a été en difficulté à 180 %. Comme toujours, il faut introduire une dimension qualitative dans l’analyse. Il faut à la fois se demander qui détient la dette mais également se questionner sur ce qui a été financé avec cette dette.
S’il s’agit de dépenses d’investissements, cela engendrera certainement des recettes pour l’État et donc nourrira sa capacité de remboursement (ou plutôt de ré-emprunt). À l’inverse, si la dette s’explique par de multiples cadeaux fiscaux aux plus riches, l’État organise son incapacité à prélever l’impôt et donc se met lui-même en difficulté. Il faut alors distinguer la dette selon son utilité. Autrement dit, se demander en priorité à quoi sert la dépense publique.
Le ratio dette/PIB est donc un indicateur parmi d’autres, qui a le mérite de permettre des comparaisons internationales, mais rien ne justifie son hégémonie dans le débat public, bien au contraire. Pour une meilleure appréhension de l’impact de la dette sur les finances publiques et de sa soutenabilité, il faut s’intéresser à d’autres indicateurs.
La dette publique nous coûte de moins en moins cher (2)
L’État fait « rouler sa dette » – cela signifie qu’il réemprunte pour rembourser ses emprunts qui arrivent à échéance. Ainsi, le seul coût de la dette pour l’État, c’est les intérêts qu’il paie. Il serait donc plus logique de mettre en avant, comme nous allons le faire, le poids des intérêts payés par les administrations publiques puisque, c’est le seul élément qui pèse sur les finances publiques. On pourrait dire que le ratio dette/PIB peut aussi finir par peser sur les finances publiques s’il inspire de la défiance aux investisseurs et fait remonter les taux d’intérêts de la France, mais dans une période où l’État peut emprunter à taux négatifs, difficile d’avancer un tel argument.
Comme le montre ce graphique, bien que la dette publique soit de plus en plus élevée, son poids pour les finances publiques est en réalité de moins en moins important. En effet, comme on l’a vu dans la fiche précédente, les taux d’intérêts auxquels l’État s’endette ont très fortement baissé, au point d’être actuellement négatifs sur certaines durées. Ainsi, en 2011 et 2019, la charge de la dette (c’est-à-dire les intérêts payés qui pèsent effectivement chaque année sur le budget de l’État) est passée de 56 à 36 milliards d’euros, ce qui correspond à une baisse de 35 % du poids de la dette.
D’autant plus qu’une partie de ces intérêts sont payés à la Banque de France (puisqu’elle détient une partie de la dette publique) avant d’être reversés ensuite à l’État sous forme d’impôt sur les sociétés ou de dividendes – puisque l’État est actionnaire à 100 % de la Banque de France.
Malgré le fort endettement durant la crise du Covid, cette charge de la dette devrait continuer à baisser en 2020 et 2021 du fait des taux très faibles auxquels la France a pu s’endetter.
En 2019, les 36 milliards d’euros d’intérêts payés par les administrations publiques représentaient 1,5 % du PIB. Si l’on rapporte ce coût au montant des dépenses publiques, ce qui parait plus pertinent, on peut donc dire que moins de 3 % des dépenses publiques sont consacrées au paiement des intérêts. On est donc loin de l’étau de la dette constamment décrié dans les médias…
Ces indicateurs paraissent bien plus pertinents que la dette/PIB pour comprendre si la dette publique est soutenable et n’entrave pas le bon fonctionnement de l’économie et la capacité d’intervention de l’État.
Pour compléter l’analyse de la soutenabilité de la dette, on peut également s’intéresser aux actifs possédés par les administrations publiques qu’il y a en contrepartie de cette dette. Il en sera question dans la fiche 5.